Le canton veut donner plus du bâton
Le Conseil d’Etat revoit sa stratégie de lutte contre le travail au noir. Un durcissement est programmé
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La prévention c’est bien, la répression c’est mieux. Fribourg va revoir sa stratégie de lutte contre le travail au noir: jusqu’ici, l’Etat privilégiait l’information tant aux travailleurs qu’aux employeurs. Sans grands résultats… «Cela n’a pas produit les effets escomptés», ne peut que constater Olivier Curty, directeur de l’Economie et de l’emploi. Le temps est donc venu, dix ans après l’introduction de la loi fédérale contre le travail au noir, de donner un tour de vis.
Car les tricheurs – qui sous-paient les employés et fraudent les assurances sociales – n’ont jamais été aussi nombreux sur le marché de la construction, affirment organisations patronales et syndicats. Une concurrence déloyale pour les sociétés qui respectent les règles. Et une situation qui n’est plus tolérable: «L’Etat n’a pas le droit de fermer les yeux. Il faut maintenant combattre cette mafia – dont le pouvoir de nuisance est énorme – avec toute l’énergie possible», déclare Jean-Daniel Wicht, directeur de la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs (FFE). Directeur adjoint de l’Union patronale du canton de Fribourg, Daniel Bürdel lui emboîte le pas: «Il faut davantage réprimer les tricheurs. Il est important de défendre les entreprises honnêtes, car si nous n’agissons pas, tout le monde va faire n’importe quoi!»
15 mesures sous la loupe
En moyenne, les inspecteurs du travail au noir fribourgeois – quatre équivalents plein-temps – procèdent à quelque 500 contrôles d’entreprises par année. «Environ un quart de ces contrôles donne lieu à des dénonciations», rapporte Olivier Curty.
Le durcissement annoncé est une revendication ancienne, concrétisée par le dépôt, en juin 2016, d’une motion demandant au Conseil d’Etat «de prendre toutes les mesures pour lutter, enfin, contre cette plaie qu’est le travail au noir». Coauteur de cette motion, Jean-Daniel Wicht (plr, Villars-sur-Glâne) se montre ainsi «très satisfait» de la tournure des événements. Le directeur de la FFE est également heureux de constater qu’au sein du groupe de travail institué fin 2016 pour plancher sur le problème – qui réunit représentants de l’Etat, de l’économie et des syndicats –, tout le monde est sur la même longueur d’onde: «Nous avons tous la même vision des mesures à prendre.»
Ces mesures, justement, quelles sont-elles? «Nous en avons examiné quinze, de manière très précise, pour déterminer leurs conséquences financières, organisationnelles et légales», informe Olivier Curty. Mais pour l’heure, aucune décision n’est arrêtée: «Un plan d’actions très concret sera soumis au Conseil d’Etat d’ici à la fin de l’année», indique le directeur de l’Economie et de l’emploi.
Secrétaire régional d’Unia, Armand Jaquier est heureux de voir les choses «enfin» bouger. Mais il ne s’emballe pas encore: «Il reste à voir quel sera, concrètement, le contenu de ces mesures et lesquelles seront adoptées par le Conseil d’Etat.» Une chose semble sûre: «Les actions coups de poing menées sur le terrain – et dont le caractère dissuasif a déjà été démontré – devraient se multiplier», annonce la DEE dans un communiqué diffusé hier. «Et nous n’hésiterons pas à sanctionner les entreprises prises en faute en fermant les chantiers», complète Olivier Curty.
Reste qu’avant d’intervenir, il convient de mieux travailler en amont: «Pour punir les contrevenants, le Ministère public a besoin de preuves. Il est donc important de professionnaliser les contrôles», souligne Daniel Bürdel. Jean-Daniel Wicht complète: «Des personnes – les inspecteurs du travail au noir ou la police, je ne sais pas – doivent observer les chantiers, documenter la présence des travailleurs.»
Coûts supplémentaires
Parce que sans cela, contourner la loi est très aisé. Le tour de passe-passe est bien connu dans le milieu: il suffit à l’ouvrier qui se fait prendre, d’affirmer avoir commencé à travailler le matin même pour justifier l’absence d’annonce à la caisse AVS. Personne n’y croit vraiment, mais sans preuve, le doute profite à l’accusé.
Ce renforcement de la surveillance demandera assurément des ressources – humaines et financières – supplémentaires. «Certes, mais nous pouvons améliorer les choses avec relativement peu de moyens», estime Olivier Curty. Avant de souligner: «S’il y a une volonté politique, nous trouverons ces moyens.»
Et puis, renchérit Daniel Bürdel, «les dépenses supplémentaires seront contrebalancées par des rentrées supplémentaires, comme des amendes par exemple».
Ainsi la bataille contre le travail au noir – considérée comme prioritaire dans le programme gouvernemental de la précédente législature – passe-t-elle de la phase préventive à la phase répressive. «L’économie souterraine coûte des milliards de francs chaque année à l’économie. Cela vaut la peine de lutter efficacement contre», estime Jean-Daniel Wicht. Le conseiller d’Etat Olivier Curty le rejoint: «Le travail au noir pénalise les entreprises qui jouent le jeu. Alors que la pression sur les prix est de plus en plus forte, il est indispensable que tout le monde lutte à armes égales.»
500: En moyenne, les contrôles d’entreprises effectués chaque année
Auteur: Patrick Pugin
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